dimanche 15 mai 2011

L’autre, l’image de l’étranger dans le judaïsme

Hervé élie Bokobza
L’œuvre
501 pages, 21 €

« Si nous voulons nous pardonner les uns aux autres, commençons d'abord par nous comprendre les uns les autres » disait Emma Goldman. Si Hervé élie Bokobza ne paraît pas partager les convictions politiques de la célèbre anarchiste, il semble qu’il aurait pu faire sienne cette maxime. Dans son nouveau livre, L’autre, il se propose d’étudier le rapport à l’altérité dans le judaïsme.
Employant la méthode du commentaire qui a aujourd’hui fait ses preuves, l’auteur replace la révélation juive dans une perspective universelle et tente une véritable typologie de l’altérité qu’il réalise parfaitement à travers les quatre parties de son livre. Ainsi se succèdent sous sa plume le rapport de l’homme à Dieu (« L’homme comme associé de Dieu »), à lui même (« De l’égalité des être humains »), aux autres hommes (« regard et relation avec l’étranger ») et enfin celui que le juif peut entretenir avec la cité (« judaïsme et citoyenneté »)

Car cet homme dont Hervé-élie Bokobza étudie la destiné avec tant de minutie n’est pas n’importe quel homme. Cet ouvrage s’adresse premièrement aux juifs. Cette somme est un véritable manifeste de la pensée anti communautariste écrit par un esprit éclairé dont on ne peut qu’admirer l’interprétation lumineuse des textes bibliques.

Pour ce penseur juif, l’égalité des hommes est un principe fondamentale qui trouve premièrement sa justification dans l’anthropologie biblique. Ainsi, prouvant que la relation à l’autre est l’essentiel de sa religion et que la révélation contenue dans le judaïsme a une portée universelle, il rend caduque toute interprétation raciste ou xénophobe et manifeste la modernité de la théologie juive. Car il est troublant de constater l’humanisme et l’actualité de la Torah, du Talmud et des nombreux commentateurs cités. 
Mais la portée de ce livre est encore supérieure car cette étude apporte un éclairage fécond sur les textes et les valeurs qui fondent également la pensée chrétienne tout en offrant des clefs de compréhension essentielles de la religion du Christ.

En somme, Hervé-élie Bokobza nous offre avec ce livre un concentré d’érudition et de sagesse accessible à tous et surtout bénéfique. Avec cette nouvelle parution, il transforme l’« essai » de Israël-Palestine et s’impose désormais comme une référence du judaïsme moderne français.

Antoine Besson 

mercredi 29 avril 2009

La prière, point de rencontre entre l’homme et sa conscience

En écho aux colloques interreligieux organisés depuis quelque années par notre mouvement, nous avons interviewé Hervé élie Bokobza, enseignant du judaïsme. Cette interview est la première d’une série que nous organiserons avec des intervenants issus de divers horizons et traditions religieuses.

Propos recueillis par Marie-Victoire Garcia et Vincent Pilley

3ème Civ : Vous êtes enseignant du judaïsme. Quel a été votre parcours ?
Hervé élie Bokobza : Je suis issu du judaïsme orthodoxe traditionnel. Pour diverses raisons, je n’ai pas pu suivre une scolarité normale. À 15 ans, j’ai prolongé mes études dans une Yéchiva, une école où l’on apprend la Torah d’une manière intensive. Je suis resté dans le monde religieux juif presque vingt ans, pendant lesquels j'ai étudié, enseigné et publié des livres de commentaires en hébreu. Suite à une épreuve tragique à trente et un an, j'ai remis en question toute ma vie. Je sentais que le monde de la Torah dans lequel j’évoluais ne correspondait plus à mes attentes. Il s’avérait être très fermé au monde extérieur, ce qui devenait de moins en moins conciliable avec mes aspirations : m'ouvrir à l'autre et à l'universel. Ainsi, tout en restant fidèle à l'enseignement de la Torah et à la profondeur du judaïsme, j’ai choisi de me libérer des institutions religieuses. Je suis convaincu qu’il est possible de s’ouvrir véritablement à la modernité et à la rencontre de l’autre, tout en gardant la rigueur de l’étude et de l’enseignement de la Torah.

3ème Civ : Pourquoi vous engagez-vous dans des dialogues interreligieux ?
H. é. B. : Aujourd’hui, nous assistons au retour du religieux. Ce phénomène est la résultante de l'absence de modèles et de repères. La vague de libération des mœurs après mai 68, sans nier ce qu’elle a pu apporter de positif, a ouvert la voie à une absence de structures, notamment dans l’éducation. Une partie de notre jeunesse, en quête de repères, est contrainte de les chercher dans l'archaïsme, sans aucun recul. En conséquence, plus qu’un simple retour aux valeurs religieuses, nous constatons un retour à l’intégrisme, au fondamentalisme et au repli sur soi. Il est pourtant clair que c’est de l’ignorance, que naît l’intégrisme. Elle interdit tout recul et liberté de pensée face à la conception limitée que l’on se fait au nom du « sacré ». En effet, dès lors que l’on estime sa pensée religieuse, quelle qu’elle soit, juive, musulmane, chrétienne ou bouddhiste, comme relevant de l’ultime vérité, quelle place reste-t-il au dialogue ? Or, toute la quintessence et la richesse de la pensée juive repose sur l’idée que même si le « sacré » existe, il ne doit nullement altérer notre liberté de pensée, permettant, ainsi de mieux le relativiser. Par conséquent, si Dieu devient le seul maître à penser de l’individu, sans aucun recul possible, la laïcité ne peut plus rien. C’est pourquoi il me semble nécessaire de faire évoluer le monde religieux vers une meilleure ouverture à l’autre. Cette ouverture est possible par le dialogue.

3ème Civ : Quelle sont pour vous les conditions préalables au dialogue interreligieux ?
H. é. B. : Tel que je le perçois, le dialogue interreligieux part du principe que l’on peut avoir ses propres croyances et convictions, correspondant à sa propre vérité, mais que, de la même manière, l’autre, aussi, peut avoir sa propre foi et liberté de conscience, sans jamais considérer la croyance des uns comme plus ultime que celle des autres.
Il est évident que si Dieu a créé le monde, il l’a fait pour l'homme. C’est pourquoi, l’être humain participe au projet divin. De la même façon que les êtres humains sont divers, il existe de multiples facettes de percevoir le divin et la spiritualité. Ainsi, le seul « sacré » qui fait sens aujourd’hui se situe au niveau du chemin qui mène à l'autre. Je pense à l’enseignement du Maharal de Prague (le rabbin Yeaouda Leow ben Bezalel, 1512-1609) sur la théorie du Emtsa, le lieu de neutralité : lorsque je rencontre quelqu'un, j’emprunte un chemin, jusqu’à parvenir à l’endroit précis où je cesse d’exister, avant que ne commence le domaine de l’autre. Cet endroit précis est appelé le Emtsa. Le lieu du dialogue et de la « paix » par excellence. Par conséquent, le « sacré » va se déplacer, il n’exprime plus uniquement le cadre figé d'une révélation antérieure, mais se situe davantage sur le plan de la rencontre. Aussi, il convient de déconstruire ses préjugés, sans qu’il ne soit exigé de nous compromettre.

3ème Civ : Comment arriver à un point de rencontre entre différents modes de pensées religieuses ?
H. é. B. : Le problème ne se pose pas pour les religions monothéistes qui se rencontrent dans leur foi au même Dieu. Cette foi s’offre à une multiplicité de facettes. Imaginez que l’on place des tissus de couleurs différentes autour d’une lampe, celui qui est devant le tissu bleu verra la lampe bleue, tandis que celui qui se tient devant le tissu rouge la verra rouge et ainsi de suite. La même lampe donne à la pluralité la possibilité de régner en toute harmonie. À partir du moment où je fais la démarche d’aller jusqu’à « l'endroit » que j’ai évoqué, le Emtsa, là où cesse mon exigence, je peux alors rencontrer l’autre dans le dialogue, à condition que lui aussi fasse de même. S’engager dans le dialogue interreligieux, c’est accepter d’être interpellé par l’autre, au point de s’ouvrir à un réel changement en nous. Par conséquent, comment envisager l’échange si l’on conçoit sa « vérité » comme absolue ? Si j’entends un enseignement émanant de l'islam susceptible de changer ma vie, tant qu’il n’est pas exigé de moi de devenir musulman, je n’ai aucune raison de m’en priver.


3eme Civ : Comment situer le concept du divin dans un dialogue interreligieux ?
H. é. B. : Depuis l’origine du monde, la question du divin à toujours été centrale pour l'être humain. Que l’on soit philosophe des Lumières ou athée, cette question ne peut être évacuée. Dans un dialogue interreligieux, même les non-croyants sont amenés à se la poser. Elle se situe au-delà de croire ou de ne pas croire. Il ne s'agit pas d’imposer la croyance, mais d’accepter que la question de Dieu reste centrale dans la quête de spiritualité de l’individu.
Pour que chacun puisse entrevoir ce concept, je parlerai de conscience de l’autre. À mon sens, la croyance relève de l’intime de l'homme. La foi est, en effet, la seule chose que même Dieu ne peut pas exiger. Il est nécessaire d'abord d’avoir la foi pour faire que le divin pénètre notre réalité. Le but de l’être humain est d’être en harmonie avec lui-même, c’est là que s’exprime sa liberté ultime. Ainsi, même après avoir acquis la foi, il reste à se demander : « À quoi sert-elle ? »

3ème Civ : L’homme peut donc, selon vous, trouver ses propres réponses ?
H. e. B. : Pour devenir un être de conscience, il faut accepter d’aller jusqu’à composer, même sans Dieu. Si Dieu m’est encore nécessaire pour m’empêcher de faire le mal, c’est que je ne suis pas encore parvenu à intégrer en moi la dimension morale du message divin. C’est pourquoi la conscience est avant tout ce qui doit faire agir l’homme. Ce que j'appelle « divin », c’est cette dimension qui permet de me construire sur le plan de ma conscience morale et éthique. Ce Dieu-là transcende toutes les cultures. Il est présent partout parce qu'il n'est pas dans une relation d'exigence. Dieu exige de l'homme tant que l'homme en a besoin, comme un enfant à qui on inculque des limites. Mais quand il devient adulte, il n’est plus nécessaire de lui dire : « Ne mets pas tes doigts dans la prise ». L’essentiel pour moi est de savoir si, quand je me réveille le matin, je suis encore en harmonie avec ce que je veux être, ou au moins, avec ce désir de devenir. Comme disent les Sages : « La récompense d'une bonne action, c'est la bonne action elle-même. Et la punition d’une faute c’est la faute elle-même » (Traité des Pères 4, 2). Si vous me demandez pourquoi je suis croyant, je vous réponds que dans ma vie personnelle, j’ai vécu des événements qui m’ont fait rencontrer Dieu. J’ai choisi de l'appeler Dieu parce que ça correspond à mon évolution. Que chacun lui donne le nom qui lui convient.

3ème Civ : Votre dernier livre La paix à la lumière de la Torah s’ouvre sur une citation de Maïmonide « Grande est la paix car la Torah n’a été donnée que pour faire la paix dans le monde. » Pourquoi l’avoir choisie ?
H. é. B. : Aucune théologie ne peut être valable dès lors qu'elle s’oppose à la paix. Il ne sert à rien de prétendre, en brandissant la Bible : « Israël est à nous, Dieu l'a promis au peuple juif » si cela s’oppose au principe plus supérieur encore qui est celui de la paix. Le but de ce livre vise à démontrer combien, à partir d’une approche rigoureuse de la tradition juive, il est possible de rester en conformité avec cette phrase de Maïmonide.

3ème Civ : Dans l’un des colloques interreligieux organisé par notre mouvement , vous expliquez que la seule solution au danger de l’ignorance est le dialogue. Que faut-il garder à l’esprit pour entamer et poursuivre un dialogue interreligieux ?
H. é. B. : Tout d'abord, il me semble qu’il est tout à fait possible de montrer la richesse et la beauté de l'enseignement de la Torah, sans aucun prosélytisme. La meilleure façon de promouvoir un enseignement, sans jamais l’imposer à nos consciences, est de garantir avant tout la liberté de penser, et permettre l’ouverture à la critique. J’essaie de confronter sans cesse l’enseignement du judaïsme par des questionnements extérieurs. Il n'y a pas, en effet, de plus riche dans l’étude de la Torah que la question. Elle nous ouvre à une multitude de possibles. La réponse peut souvent enfermer et donner à l’homme un sentiment de frustration. Ce n’est pas par hasard que « réponse » se dit en hébreu « oné », terme qui signifie aussi « frustration ». Le dialogue interreligieux doit permettre à chacun de placer sur la table toutes sortes de mets différents : gâteaux, fruits, etc. pour que tous puissent y goûter et apprécier de cette diversité. Tout cela pour favoriser la connaissance et la reconnaissance de l’autre.

3ème Civ : Quand le désaccord apparaît dans un dialogue, que faut-il développer pour dépasser le moment où l’autre n’est plus d’accord ?
H. é. B. : Je me suis posé la question de savoir jusqu’où il est nécessaire de dialoguer et je ne suis pas certain qu’il soit pertinent de continuer un dialogue face à de la mauvaise foi, ou quand il existe un refus total d’écoute. Comme dit le Talmud : « De la même manière qu’il est recommandable à l’homme de dire une chose quand on sait qu’elle va être entendu, il est recommandable de ne pas le dire quand on sait qu’elle ne sera pas entendue » (Yébamot 65, b). Parfois, se taire vaut mieux que parler. Il est préférable, dans ces cas-là, de se limiter à la dérision et à l’humour. L’un de mes maîtres disait : « l’humour est l’expression la plus aboutie du sérieux ». Pour poursuivre le dialogue, il faut accepter que l’autre ait un point de vue différent. Dès que l’on considère, en revanche, que tout point de vue, qui se distingue du sien, est forcément dans l’erreur, plus aucun dialogue n’est possible.

3ème Civ : Quels sont les aspects du judaïsme que vous aimeriez faire connaître ?
H. é. B : Qu’il n'existe à aucun moment, dans le judaïsme, une vérité figée. Il y a toujours une remise en question. Chaque réponse appelle une autre question, permettant de faire avancer le débat et de favoriser la connaissance. C’est le propre du Talmud où tout est construit et déconstruit sans cesse. En ce sens, je pense ainsi qu’il serait bon que la pensée religieuse intègre complètement la philosophie qui permet de tout remettre en question. La religion devrait permettre d’en faire autant. Ne pas hésiter à aborder toutes les questions : « Qu'en est-il réellement de Dieu ? Des lois religieuses ? Y a-t-il une autre voie possible pour l’homme ? etc. ».

3ème Civ : Quelle est votre croyance ?
H. é. B. : Je crois en Dieu. La religion, reste cependant pour moi, l’une des manières possibles de rencontrer le divin. Elle ne peut être perçue comme un but. Il est possible de découvrir Dieu en dehors de toute structure religieuse : dans la nature, la peinture, la musique, ou dans l’amour. Même si nous concédons que l’on peut ne pas avoir besoin de ce Dieu-là, il nous est impossible de nous défaire de notre conscience.

3eme Civ : Être en harmonie avec sa conscience est donc l’un des plus grands bonheurs ?
H. é. B. : Bien sûr ! Mais, si cela peut vous rassurer, l’on est pas plus heureux quand on est croyant. Je pense au philosophe André Conte Sponville qui se dit « athée fidèle », et c’est de la même manière que je me dit « croyant fidèle ». C’est, donc, en tant que « croyant fidèle » que je parle de Dieu.

3ème Civ : Comment percevez-vous une religion non déiste, comme le bouddhisme ?
H. é. B. : Tout d’abord, je ne sais pas ce que l’on entend par « Ne pas croire en Dieu ». S’agit-il d’un rejet de la religion ou de toute forme de transcendance ? Certes, dans le bouddhisme, il n'y a pas de Dieu dans le sens d’une révélation, où une entité se serait adressée à un prophète, qui viendrait annoncer la « parole de Dieu » aux hommes. Sous cet angle, le bouddhisme n’est pas déiste. Le Bouddha aurait atteint un état de conscience par une voie plus personnelle, il aurait ainsi montré à ses disciples que ce chemin est possible. Des penseurs bouddhistes auraient ensuite créé diverses méthodes pour parvenir à la voie qui mène à l’état de conscience de Bouddha. À partir de là, nous ne pouvons pas dire que le bouddhisme exclu toute transcendance. C’est la manière de la nommer qui est différente.

3eme Civ : Une définition comme la vie, ou l’essence de la vie vous conviendrait-elle ?
H. é. B. : Chacun peut donner à la transcendance le nom qui lui correspond le mieux. Personnellement, je ressens Dieu présent dans ma vie. Concernant le bouddhisme, il me semble, sans imposer ma vision, que même s’il n’y a pas de Dieu à proprement parlé, Dieu n’est pas antinomique avec le bouddhisme. Je conçois tout à fait qu'un Juif puisse pratiquer son judaïsme et en même temps devenir bouddhiste alors qu’il serait difficilement concevable d’être à la fois musulman et juif.

3ème Civ : Vous avez évoqué l’un de vos maîtres. Que pensez-vous de la notion de maître et disciple ?
H. é. B. : Il me semble que la société d’aujourd’hui a complètement perdu la notion fondamentale de maître. Je le déplore. Un maître doit avoir pour but de donner tous les outils possibles à son élève pour lui permette de le dépasser. Un maître qui montrerait à son élève qu’il ne peut accéder au-delà d’une certaine limite perdrait sa qualité de maître. Rabbi Hanina, l’un des sages de la Mishna, disait : « J’ai beaucoup appris de mes maîtres. J’ai plus appris de mes compagnons d’étude, mais c’est de mes élèves que j’ai le plus appris » (Talmud, Ta’anit 7, a). Un des grands maîtres du judaïsme, R. Josef ‘Habiba (XVe siècle), (Nimoukey Yosef sur Sanhédrin 36, a) écrit : « Un élève [qui ne partage pas l’avis de son maître] n’a pas le droit de se taire ». Pour le judaïsme, depuis la révélation du Sinaï, les générations régressent. L’anecdote suivante peut illustrer mes propos : Le Rav Moshé Feinstein, (1898-1986), grande autorité du judaïsme rabbinique, voyageait en avion avec son petit fils. À la fin du voyage, un homme se présenta à lui en qualité de scientifique : « J’ai constaté, lui dit-il, que pendant tout le voyage, votre petit-fils restait sagement près de vous et prenait des notes sur ce que vous lui disiez. Alors que mon petit-fils, du même âge, a dérangé tout l’avion ! Quel est votre secret ? » Le rabbin lui répondit : « Dans la tradition juive, on dit que les générations régressent. Ainsi, mon petit-fils croit avoir deux générations de retard sur moi, c’est pourquoi il reste le plus possible à mes côtés. En tant que scientifiques vous pensez certainement que l’homme descend du singe. Ainsi, plus on s’éloigne du singe, plus on devient homme. Peut-être alors que votre petit-fils pense avoir deux générations d’avance sur vous. Il n’a, par conséquent, plus rien à apprendre de vous ! » Cette métaphore dégage à l’évidence l’importance de la transmission entre le Maître et l’élève. Ainsi, même s’il est possible d’être athée ou de le devenir, on ne peut faire l’économie des valeurs enseignées par nos anciens, valeurs que nous devons nous efforcer d’inculquer à nos enfants et à nos élèves.

T.C. : Que représente pour vous la prière ?
H. é. B. : Pour moi, la prière représente le point de rencontre ultime entre l’homme et le divin, ou entre l’homme et sa conscience. La prière a les capacités de dépasser tout jugement moral de celui qui prie. En ce sens, elle est véritablement universelle. Comme le dit le Talmud, lorsque « Même le voleur prie Dieu de ne pas être attrapé », cela indique que Dieu se tient aussi à ses côtés pour entendre sa prière, au-delà de toute considération morale. Prier ne se pratique pas forcément par des mots, cela peut aussi se faire par des gestes ou une méditation. Les événements que l’on vit, peuvent aussi nous mettre en état de prière. Pour Joseph Dov Soloveichik, auteur de « l’homme de la Halakha » , « La prière, n’est rien de moins que de la prophétie qui va du bas vers le haut ». Par conséquent, on pourrait dire que même Dieu a besoin de la prière des hommes. Pour ma part, aussi difficile que soit le chemin qui mène à la prière, sans prière aucune spiritualité n’est possible. Savoir si personnellement je prie ? Je ne sais pas. Je crois même ne pas en connaître le chemin. Je cherche. Parfois, il m’arrive d’essayer.

Entretien paru dans 3e civ' N° 568 Décembre 2008